Faire face à la crise
L’année dernière, 2022, fut compliquée à bien des égards. Après avoir dominé l’agenda mondial pendant près de deux ans, la pandémie du COVID-19 semblait enfin se dissiper. De nouveaux bouleversements sont pourtant apparus.
Cette pandémie a révélé de nombreuses défaillances dans nos systèmes, et la leçon la plus évidente était la nécessité de changer. Il n’est plus possible de revenir au statu quo. Pour beaucoup, le COVID-19 fut un signal d’alarme rappelant que notre modèle de développement est insoutenable et doit être repensé. En parallèle, la guerre en Europe a eu un retentissement mondial, entraînant une crise alimentaire dans le Sud et une crise énergétique qui s’ajoutent aux enjeux posés par le changement climatique.
Pour les villes, qui abritent plus de 50 % de la population mondiale, l’année 2022 a également été particulièrement éprouvante. Les défis auxquels les villes doivent répondre sont déjà nombreux : le logement abordable, l’adaptation au changement climatique, l’accès à la mobilité ou les questions d’équité.
L’impact du changement climatique et la multiplication des catastrophes se sont manifestés dans de nombreuses régions du monde, notamment dans les pays d’Asie du Sud-Est, particulièrement exposés aux désastres naturels. Ces dernières années toutefois, d’autres régions habituellement moins exposées ont connu une aggravation des phénomènes liés au changement climatique. En Europe et en Amérique du Nord, des feux de forêt sans précédent ont balayé la région, obligeant les habitants à fuir leurs maisons. Les vagues de chaleur et la sécheresse qui ont frappé l’Europe ont, au-delà des victimes, incité les collectivités à prendre des mesures et à investir dans leur résilience.
Pour faire face aux vagues de chaleur extrêmes, le Centre de résilience de la Fondation Adrienne Arsht-Rockefeller ont lancé l’Alliance pour une Résilience aux Chaleurs Extrêmes (ARCE) et les Villes Championnes de l’Action contre la Chaleur (VCAC) dans le but de réunir les dirigeants élus des grandes villes et des collectivités du monde entier pour atténuer les risques liés à l’exposition des citoyens à la chaleur. Dans le cadre de cette initiative, sept villes du monde, avec le soutien d’autres partenaires, ont créé le rôle de Délégués à la Chaleur (CHO). Miami fut la première ville à nommer un DC en juin 2021. Les six autres villes qui ont nommé des CHO sont Athènes (Grèce), Monterrey (Mexique), Los Angeles (États-Unis), Freetown (Sierra Leone), Santiago (Chili) et Melbourne (Australie). Les Délégués à la Chaleur ont commencé à prendre des mesures comme évaluer la vulnérabilité, utiliser des solutions naturelles pour lutter contre la chaleur, installer des trottoirs et des toits frais, etc. Le groupe va probablement s’étendre et compter un DC supplémentaire en Inde.
L’invasion de l’Ukraine par la Russie a engendré de nombreux bouleversements, et notamment des crises humanitaires, alimentaires et énergétiques. La crise énergétique de 2022 pourrait représenter un tournant positif pour le secteur, provoquant des changements profonds et accélérant la transition vers des systèmes énergétiques plus durables et plus écologiques. Cependant, la crise énergétique a encore aggravé les inégalités existantes, car la hausse des prix de l’énergie touche de manière disproportionnée les ménages à faibles revenus vivant dans des logements moins efficaces énergétiquement. Face à ce défi, de nombreuses collectivités locales ont adopté des mesures d’économie d’énergie, en utilisant moins de lampadaires et de décorations de rue ou en encourageant les citoyens à réduire d’un degré la température de leur logement. À Vienne, les autorités locales ont encouragé les restaurants et les magasins à plafonner leurs thermostats à 18 degrés et à réduire de près de moitié la durée des illuminations et des marchés de Noël. Comme dispositif de soutien aux ménages face à l’augmentation des coûts de l’énergie, la mairie a également créé la “Prime à l’Energie de Vienne 22”.
Le recours à des énergies propres et durables devient donc réalité, mais des mesures ambitieuses et des investissements massifs dans les énergies propres sont encore nécessaires, et un consens doit être trouvé par les responsables politiques pour atteindre les objectifs climatiques de l’accord de Paris. Les gouvernements locaux peuvent également participer à ce changement en réalisant des mesures rapides et en élaborant un plan énergétique plus soutenable pour leur ville.
Une autre conséquence notable de l’invasion fut la crise alimentaire.
Alors que les prix des denrées alimentaires étaient déjà en hausse en 2021, ces prix n’ont cessé de croître en 2022. En un an, les cours ont augmenté de 20 % en février 2022 puis de 40 % supplémentaires en mars, selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). La guerre a bien joué un rôle dans cette crise, mais les mauvaises récoltes dues au climat ont aggravé la situation déjà précaire.
Les pays d’Afrique de l’Est connaissaient une défaillance de leur système agricole, et la sécheresse et la famine n’ont fait qu’exacerber les effets. La flambée des prix a provoqué des troubles dans de nombreux pays, comme en Albanie, en Indonésie, en Irak, en Iran, au Kenya, au Pérou, au Soudan, au Sri Lanka, , etc. Les États-Unis ont connu des pénuries d’aliments comme le lait maternisé. La crise alimentaire a donc mis en évidence la nécessité de renforcer la sécurité la résilience alimentaire. Les villes doivent se préparer à faire face aux chocs climatiques mais aussi à toutes les autres crises affectant leur approvisionnement alimentaire. Elles peuvent par exemple améliorer leur gestion des achats, des transports ou des déchets alimentaires. Les villes peuvent également soutenir la production alimentaire locale par le biais du processus de budgétisation des terres. Ces mesures peuvent contribuer à réduire l’empreinte carbone et à garantir un accès plus équitable aux denrées alimentaires.
La pandémie de COVID-19 a révélé la nécessité de disposer d’un système de santé plus performant et plus résilient, mais aussi de mieux prendre en compte l’économie des soins, formelle ou informelle. Selon l’Organisation internationale du travail (OIT), chaque jour, 16,4 milliards d’heures consacrées à des tâches liées au soin sont non rémunérées. Cela équivaut à 11 000 milliards de dollars (USD), soit 9 % du PIB mondial – deux fois plus que le PIB du secteur agricole mondial. Cela correspond à toutes les activités effectuées à la maison : les tâches ménagères, les courses ou la prise en charge des enfants et des personnes âgées. La situation varie d’un pays à l’autre ; par exemple, dans les lieux où les soins sont professionnalisés, les coûts élevés peuvent en limiter l’accès. Toutefois dans de nombreuses régions, les soins aux enfants et aux personnes âgées sont soit inexistants soit effectués de manière informelle. Les faits montrent que ce travail incombe souvent de manière disproportionnée aux femmes et aux jeunes filles. Il est également effectué par des travailleurs domestiques qui sont souvent des femmes migrantes, limitées dans leurs droits et qui se retrouvent parfois exploitées. L’économie des soins à autrui se caractérise généralement par de faibles salaires, voire par l’absence de rémunération. Sa pratique est souvent perçue comme moins productive et moins valorisante.
Ce phénomène est particulièrement marqué dans les pays du Sud, où de nombreuses femmes salariées proposent leur aide de manière informelle. La pandémie a exacerbé les inégalités dans les quartiers pauvres des villes.
Les organisations comme la Commission Huairou et Slum Dwellers International ont été à l’avant-garde de la réponse collective à la pandémie de COVID-19. Il sera essentiel que les organisations populaires occupent un rôle plus central dans la mise en oeuvre des politiques de redressement pour favoriser un développement équitable et durable. Les partenariats entre des organisations dirigées par des femmes, des gouvernements locaux, des institutions financières et d’autres acteurs de la société civile peuvent débloquer des ressources financières, techniques et politiques souples qui peuvent s’avérer essentielles pour étendre et accélérer la mise en oeuvre locale des politiques nationales. C’est grâce à diverses formes de partenariat que les ressources ont été acheminées localement et que des accès plus inclusifs à la prise de décision publique ont été ouverts, notamment pour les femmes pauvres.
L’Alliance mondiale pour le soin (Global Alliance for Care – GAC), un projet collectif issu du Forum pour l’Egalité des Générations, a exhorté les gouvernements et toutes les parties prenantes à déclarer 2023 comme une année capitale pour l’économie du soin. L’approche inclusive du redressement post-COVID a donné plus de pertinence que jamais aux discussions mondiales centrées sur les personnes, comme le sujet de la couverture de santé universelle ou l’offre de soin non rémunérée.
Les gouvernements locaux et régionaux doivent également faire face à la dégradation de la situation économique, notamment à l’inflation et au risque de récession mondiale. Le PNUD a prévenu que l’ampleur de la dette de 54 économies en développement requiert un allégement urgent de cette dette en raison des crises mondiales en cascade. Ces pays représentent 18 % de la population mondiale, dont 28 des 50 nations les plus vulnérables au climat dans le monde. Le financement de la coopération internationale a lui aussi diminué.
La Première Ministre de la Barbade, Mia Mottley, a lancé un appel à la réforme de l’architecture financière mondiale en publiant en septembre 2022 l’Agenda de Bridgetown. Cet Agenda prévoit trois étapes principales. La première, fournir immédiatement des liquidités pour stopper la crise de la dette en faisant pression sur le Fonds monétaire international pour qu’il suspende temporairement ses surtaxes d’intérêt ou qu’il ramène l’accès à des facilités de crédit et de financement rapides et inconditionnelles proches des niveaux précédant la crise. La deuxième consiste à augmenter les prêts multilatéraux aux gouvernements de 1 000 milliards de dollars US. Et le troisième, de mobiliser l’épargne du secteur privé pour atténuer le changement climatique et financer la reconstruction en cas de catastrophe climatique.
Les citoyens de la Somalie, de l’Éthiopie, de l’Afghanistan, de la République démocratique du Congo, du Yémen, de la Syrie, du Sud-Soudan, du Burkina Faso et de l’Ukraine sont les plus exposés à l’exacerbation de la pauvreté, en raison de la persistance des conflits ou des catastrophes liées au climat. La “Liste de surveillance des urgences 2023”, publiée par le Comité international de secours, met l’accent sur 20 pays, dont plus de la moitié se trouvent en Afrique. Ces pays présentent davantage de risques de voir apparaître ou s’aggraver des urgences humanitaires. Les pays figurant sur cette liste représentent 13 % de la population mondiale, 90 % des personnes en situation de besoin humanitaire et 81 % des personnes déplacées sous la contrainte. Parmi ces personnes, les femmes, les filles et les communautés LGBTQI+ sont souvent les plus touchées.
Les gouvernements locaux et régionaux sont les plus actifs dans la mise en oeuvre de solutions concrètes pour faire face aux impacts de cette “polycrise”. Qu’il s’agisse des personnes déplacées de force débarquant dans les villes ou de la gestion quotidienne des services publics, même en cas d’urgence, les gouvernements locaux prennent soin de leurs citoyens.
Localiser la durabilité de manière démocratique, inclusive, collaborative, multigénérationnelle et transformatrice entre tous les niveaux de gouvernement et de la société civile, n’est plus de l’ordre du désir, c’est devenu un impératif pour l’avenir de l’humanité.